En 1993, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt retentissant dans lequel elle a admis qu’un promettant puisse efficacement se rétracter d’une promesse unilatérale de vente tant que le bénéficiaire n’avait pas levé l’option. Cette position a suscité une vive polémique en doctrine.
Des critiques nourries de la part des spécialistes du droit
Dans les faits, la Cour de cassation a jugé dans cet arrêt Consorts Cruz que la levée d’option après la rétractation du promettant excluait la rencontre des consentements. Pour la majorité de la doctrine, cette solution heurtait le principe de la force obligatoire des contrats. Elle remettait en cause le caractère ferme et définitif de l’engagement pris par le promettant en signant la promesse unilatérale.
La promesse unilatérale de vente est un contrat par lequel le promettant s’engage à vendre un bien au bénéficiaire, si ce dernier décide de lever l’option d’achat. Le promettant consent donc par avance à la vente, qui ne nécessitera plus que l’acceptation du bénéficiaire.
Bon à savoir : la promesse unilatérale se distingue de la promesse synallagmatique, où les deux parties prennent des engagements réciproques de vendre et d’acheter.
Certains y ont vu un affaiblissement du consensualisme et de l’article 1134 du Code civil sur le respect des conventions. « J’ai signé une promesse unilatérale de vente pour un appartement, et le promettant s’est rétracté juste avant ma levée d’option. Pourtant, il s’était engagé de manière ferme et définitive ! Ce revirement remet en cause la parole donnée », s’insurge Michel D., bénéficiaire floué.
Le législateur désavoue la Cour de cassation en 2016
Face aux critiques, le législateur est intervenu en 2016 dans le cadre de la réforme du droit des obligations, en adoptant l’article 1124 du Code civil. Celui-ci dispose que la révocation d’une promesse unilatérale par le promettant n’empêche pas la formation du contrat promis. La jurisprudence Consorts Cruz se trouvait donc battue en brèche, mais seulement pour l’avenir. En effet, la réforme n’avait pas de portée rétroactive.
Un revirement jurisprudentiel qui s’opère en deux temps
En 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation opère un premier infléchissement, en jugeant que la révocation d’une promesse d’embauche n’empêche pas la formation du contrat promis. Puis, le 23 juin 2021, la troisième chambre civile, à l’origine de la jurisprudence Consorts Cruz, opère un revirement complet. Elle juge désormais que le promettant s’engage de manière ferme et définitive dès la signature de la promesse unilatérale. Sa rétractation ne fait pas obstacle à la rencontre des consentements en cas de levée d’option.
« C’est un grand soulagement, car nous étions nombreux à avoir signé des promesses unilatérales de vente avant 2016 et à craindre une rétractation du promettant », explique Jean D., directeur d’une agence immobilière.
La fin d’une longue dissension doctrine/jurisprudence
Avec près de 30 ans d’opposition entre la Cour de cassation et la majorité de la doctrine, ce revirement tardif vient mettre un terme à une longue dissension. La primauté du consensualisme et du principe de l’obligation des conventions semblent réaffirmés. Néanmoins, en pratique, la portée de ce revirement pourrait être limitée pour les promesses antérieures à 2016, notamment en cas de vente à un tiers.
« Il faudra encore attendre pour que ce revirement ait un impact concret sur les promesses signées avant 2016 », nuance Maître Martin, avocat spécialiste en droit immobilier. Selon lui, des incertitudes demeurent sur la sanction d’une vente à un tiers en violation d’une promesse ancienne.